Alessandro Mercuri

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Au Val-sans-Retour, depuis longtemps déjà, la tour d’ivoire avait perdu toute sa splendeur. Les fées qui y habitaient avaient vieilli. La blancheur laiteuse de l’édifice avait noirci. Par temps gris, on aurait presque dit une cheminée recouverte de suie. Bientôt entièrement abandonnée, les fenêtres toutes murées, on nommait la Tour, « le ghetto des merveilles ». Les fées séniles aux ailes ternies attendaient leur avis d’expulsion. D’après la rumeur, la tour menaçait de s’écrouler. Les analyses géologiques départementales confirmèrent l’irrémédiable : « Savez-vous ce qu’il y a sous cette terre ? Une grande nappe d’eau dormante et sous cette eau deux dragons aveugles ». Lang Shining, 郎世寧, le promoteur chinois se pâmait de joie et dans son français approximatif, il répétait extatique l’aphorisme géologique : « Sés tu que il a desous ceste tour ? Il i a une grant iaue. Et desous cele iaue i a deus dragons qui ne voient goute ». Robert de Boron, maire de Val-sans-Retour, la mort dans l’âme, dut se résoudre à faire abattre le bâtiment. Et à l’intérieur d’une nouvelle enceinte, sur les ruines fumantes de la tour, 郎世寧 érigea le tout premier dragonarium d’Ille-et-Vilaine.

Alessandro Mercuri, Merlin Remix, Editions des mers Occidentales, 2014

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