In medias res #11, tours et enceintes II

date: 
format: 
297 x 210 cm
ISBN / EAN / ISSN: 
2296-4487
support(s): 

 

Tours et enceintes


Il faut qu’elles soient majestueuses, bien sûr, il faut qu’elles soient vastes
et imposantes ; mais alors, pourquoi les avoir affublées de ces couleurs de
citron, de bonbon, de layette ? Il faut qu’elles protègent et dissuadent, tout
au moins ; mais alors, à quoi bon les avoir trouées de portes ? Ce sont des
tours sans guetteurs et des enceintes sans hauteur. Elles ne retranchent ni
ne soustraient ; tout au plus abritent-elles, mais surtout : elles délimitent. Il y
a l’extérieur qui est aux quatre vents, à la nature, aux bâtisseurs, aux gestes
quotidiens, à l’ordre et au désordre, à l’errance et aux pérégrinations. C’est
le monde avec ses trains, ses lacs, ses maisons, ses ennuis et ses folies. Et puis
il y a l’intérieur, qui n’est qu’un vaste gazon de terrain de golf, une terre
plane et immaculée, l’espace vierge du Jardin. En son centre, un agneau qui
rédime – croit-il vraiment ? – en tous les cas qu’on immole et qui doit soutenir
notre pardon (celui qu’on demande comme celui qu’on reçoit). Il fait bon se
reposer dans ce vaste parc que tours et enceintes annoncent et qui sont des
mots – « tour », « enceinte » – ici usurpés, puisqu’ils ne font que prévenir sans
protéger ni contraindre. Autour de ce paradis géométrique et en creux qui
attend qu’on le meuble, qu’on le désire, qu’on l’habite, des murs magenta, des
colonnes cyan, des murs jaunes, des colonnes vermillon qui sont comme des
cibles ou des joyeux soleils. En vérité, tout cela n’est qu’une mascarade, de
la poudre aux yeux, du pipeau, l’esbroufe du peintre : ces constructions sont
du carton, du papier mâché, elles prétendent seulement, et n’attendent qu’à
être vues, approchées, franchies. Elles n’ont d’autre motif que de signaler,
d’une part, et de produire leur propre sens, surtout, qui est de participer, de
dire et de rappeler, que le monde s’honore à réserver une part de lui-même
au repos, aux retrouvailles, aux jeux et aux joies, et surtout : à la beauté.

Matthieu Mégevand