La foire de l'art

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Le Courrier, vendredi 29 janvier 2016

«LE VESTIBULE DES LACHES» DE PHILIPPE FRETZ

Et si le milieu de l’art n’était qu’une foire aux vanités où les bons contacts comptent plus que l’œuvre en soi, un jeu de massacre où couler l’autre est la condition nécessaire de la réussite? C’est en tout cas l’impression que laisse la longue nouvelle de Philippe Fretz, Le vestibule des lâches, publiée cet automne par art&fiction dans sa collection Re: Pacific qui mêle art et littérature.
Carter est un peintre souffrant de procrastination qui, pour joindre les deux bouts, cumule les petits boulots, dont celui de gardien de musée. Son principal défaut? Un certain idéalisme: «Il était hanté par une obsession qui prenait le dessus sur tout le reste. Construire les lieux d’une œuvre qui remette le monde dans une intimité propre à l’enfant ou à l’explorateur.» Barquet, lui, est un «artiste institutionnel, dont le travail était présent dans les grandes collections publiques». Sa principale qualité? Etre le fils d’un banquier genevois véreux, lien de parenté qui lui permet, grâce à un carnet d’adresses bien étoffé, d’enchaîner les commandes. Tous deux se croisent après un vernissage; une rencontre aux allures de partie d’échecs (dont les illustrations jalonnent le récit) où chaque mot est une attaque à peine voilée afin de savoir «qui pisse le plus loin». Métaphore d’un monde qui, sous le vernis de la culture, est un champ de bataille perpétuel dépourvu de tout geste gratuit. A ce jeu s’impose évidemment le moins scrupuleux.
Ceci est par ailleurs mis en évidence par la transaction financière frauduleuse qui implique le père de Barquet et un milliardaire russe, intrigue parallèle fonctionnant comme une dénonciation des liaisons dangereuses entre art et monde d’affaires, et qui vient donc s’ajouter à la rivalité entre acteurs du champ artistique. Et la question s’insinue tout au long du récit: l’art peut-il exister hors du marché?
Le ton est celui de la satire. Il n’y manquera donc pas les allusions à la scène artistique locale: le PAPCO (Plateforme d’Art Post-Contemporain) pour le MAMCO, la HEART (Haute École d’Art) pour la HEAD, la Nuit des Douches pour la Nuit des Bains, ou encore le Bélier pour Rhino. Les initiés s’amuseront à dénicher, sous les personnages, les artistes et autres galeristes égratignés au passage. Pour finir, en poussant la farce jusqu’au bout et de par ses procédés narratifs (style désinvolte, personnages éthérés, fin à rebondissements), Le vestibule des lâches aboutit à un texte caustique et parfois carricatural, à l’image du milieu qui y est mis en scène.

José Antonio Garcia Simon

 

PHILIPPE FRETZ, LE VESTIBULE DES LACHES, ED. ART&FICTION, COLL. RE: PACIFIC, 2015, 80 PP.